Appel à contribution – Colloque « Quelle éducation morale, civique et politique pour le citoyen du vingt-et-unième siècle ? Apports de la tradition philosophique et nouveaux défis »
Bonjour à toutes et tous,
Vous trouverez ci-après et en PJ un appel à contribution pour le colloque « Quelle éducation morale, civique et politique pour le citoyen du vingt-et-unième siècle? Apports de la tradition philosophique et nouveaux défis », qui aura lieu à l’INSPE de Paris (Molitor), les 22 et 23 mai 2024.
Les propositions de contribution (titre et résumé d’une demi-page) sont à transmettre d’ici le 1er février 2024 à l’adresse suivante : eduquer.le.citoyen.du.21emesiecle@gmail.com
Bien cordialement,
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Ophélie Desmons
Maître de conférences en philosophie
INSPE de Paris – Sorbonne Université
Colloque « Quelle éducation morale, civique et politique pour le citoyen du vingt-et-unième siècle ? Apports de la tradition philosophique et nouveaux défis »
22 et 23 mai, INSPE de Paris, site MOLITOR.
Organisation : Ophélie Desmons et Anne Morvan, INSPE de Paris, Sorbonne Université, UMR8011 « Sciences, Normes et Démocratie » et Université de Lille.
Conférencier invité : Patrice Canivez, Université de Lille.
Appel à contribution
L’éducation constitue aujourd’hui une préoccupation centrale. Si les finalités de l’éducation sont variées et incluent la formation professionnelle visant l’acquisition de compétences utiles aux individus sur le marché du travail, c’est à la dimension morale, civique et politique de l’éducation que ces journées d’étude seront consacrées.
En la matière, les démocraties contemporaines se saisissent généralement de l’institution scolaire pour déployer des programmes formels d’éducation morale, civique et politique, comme le programme d’« enseignement moral et civique » (EMC)français, le « cours de philosophie et de citoyenneté » (CPC) de Belgique francophone, ou encore le programme « éthique et culture religieuse » (ECR) québécois.
S’ils possèdent des traits singuliers, qui tiennent à leur contexte national propre, ces programmes ont bien souvent des présupposés et des objectifs similaires. Premièrement, ils tiennent généralement pour acquis que, dans une démocratie, il est à la fois légitime et nécessaire que l’État intervienne dans l’éducation morale, civique et politique des citoyens. Deuxièmement, ils souscrivent à l’idée que cette éducation vise (au moins) deux finalités : d’une part, l’acquisition des diverses compétences nécessaires à l’exercice de la citoyenneté démocratique (notamment la formation de l’esprit critique), d’autre part, la transmission de certaines valeurs et vertus (comme les valeurs de liberté et d’égalité ou la vertu de tolérance). Troisièmement, ils proposent généralement des exemples de pratiques pédagogiques permettant d’atteindre ces objectifs.
Ces éléments sont susceptibles de nourrir plusieurs thèmes de réflexion, qui seront au cœur de nos journées d’étude.
Nous invitons les étudiant.es en master, les doctorant.es, jeunes chercheur.es et chercheur.es confirmé.es à nous transmettre leur proposition d’intervention. La perspective qui est la nôtre relève en premier lieu de la philosophie (en particulier de la philosophie morale et politique, de la philosophie de l’éducation et de l’histoire de la philosophie). Les contributions d’autres domaines ayant l’éducation pour objet sont néanmoins les bienvenues, et notamment les contributions relevant des sciences de l’éducation, de la didactique, de l’histoire, de la sociologie ou de la psychologie.
Les personnes intéressées sont invitées à nous envoyer un projet de communication (titre et résumé d’une demi-page) pour le 1er février 2024 à l’adresse suivante :
eduquer.le.citoyen.du.21emesiecle@gmail.com
Les thématiques placées au cœur de nos journées sont les suivantes :
1. La légitimité et la nécessité d’une prise en charge de l’éducation morale, civique et politique par l’État.
Les démocraties contemporaines utilisent généralement l’institution scolaire pour déployer des programmes d’éducation morale, civique ou politique. Mais est-ce légitime ? De quelle façon une telle entreprise peut-elle être compatible avec le devoir de neutralité qui incombe à ces régimes qui s’engagent à respecter l’égale liberté de conscience des citoyens ? À quelle condition est-il légitime pour l’État démocratique de chercher à transmettre ses propres valeurs et ce qu’il considère comme des vertus ?
Dans quelle mesure est-il, d’autre part, nécessaire que l’État prenne en charge l’éducation morale, civique et politique des citoyens ? John Stuart Mill nous invite à nous méfier des effets de domination et d’homogénéisation auxquels une éducation placée sous la coupe de l’État pourrait conduire (Mill, 1990). Il affirme également que l’éducation est d’abord et avant tout un devoir qui incombe aux parents et que le choix de l’éducation à donner aux enfants leur revient. Cependant, peut-on penser l’intérêt général d’une communauté politique, sans y adosser une conception de l’éducation civique et politique des enfants, futurs citoyens ? L’éducation, s’inscrivant dans un temps long, n’est-elle pas à même de faire naître des affects et mœurs politiques, en un mot un véritable intérêt pour la chose publique (Rousseau, 2002) ? Dans les débats contemporains, plusieurs auteurs ont défendu qu’une telle éducation est nécessaire à stabilité et à la vitalité des démocraties ainsi qu’à la réalisation en leur sein des politiques de justice distributive (Canivez, 1990 ; Rawls, 1995 ; Kymlicka, 2002 ; Gutmann, 1999 ; Macedo, 2000).
2. Les compétences du citoyen
Les programmes d’éducation morale, civique et politique visent explicitement la formation des citoyens. La conception de la démocratie et de la citoyenneté sur laquelle ils s’appuient demeure en revanche le plus souvent implicite. Or, il existe des conceptions concurrentes de la démocratie, aboutissant à des conceptions distinctes de la citoyenneté. Dans le livre I de l’Émile, Rousseau affirme en outre que, dans les sociétés modernes, il n’est plus possible à l’éducation de produire un véritable citoyen, parce qu’y règnent quasi sans partage des intérêts particuliers divers. Le but d’une éducation moderne – qui serait en ce sens plus morale que politique – consisterait-elle d’abord à former les enfants aux droits et devoirs de l’humanité en général (Lenne-Cornuez, 2021) ? Mais si l’on se refuse à renoncer à une éducation tout à la fois morale, civique et politique, quelle conception de la citoyenneté démocratique est-elle la plus appropriée ? De quelles compétences ou habiletés de pensée les citoyens des démocraties devraient-ils être dotés ? Quelle importance accorder aux compétences intellectuelles ou aux compétences communicationnelles et délibératives ? En donnant la priorité à des compétences de ce type, ne court-on pas le risque d’adopter une conception à la fois trop exigeante et trop intellectualiste de la citoyenneté, excluant bon nombre de citoyens réels ? Pour l’éviter, convient-il d’accorder un rôle – et lequel – à la sensibilité morale et politique ?
3. Pédagogies et didactique de la citoyenneté démocratique
Si une éducation morale, civique et politique est à la fois légitime et nécessaire, quelles sont les pratiques pédagogiques les plus appropriées et les plus efficaces ?
La tradition philosophique a très tôt pointé les difficultés inhérentes à la transmission de vertus (Platon, Ménon ; Aristote, Ethique à Nicomaque). Dans l’Émile, Rousseau souligne quant à lui l’inefficacité des leçons de morale prenant la forme d’un discours magistral et vertical. Il en dénonce même le caractère contre-productif, en particulier lorsque l’enfant, dont la raison est encore limitée, n’est pas en âge de comprendre ce dont on lui parle. Plutôt que de faire la morale, le gouverneur met en place des dispositifs qui permettent à Émile de vivre de véritables expériences morales.
Mais si l’éducation morale, civique et politique doit passer par des expériences, quels sont les dispositifs pédagogiques les plus appropriés ? Des retours réflexifs sur les différentes pédagogies de la citoyenneté sont attendus et bienvenus. Quels peuvent par exemple être les apports des « nouvelles pratiques philosophiques », comme la « discussion à visées démocratique et philosophique » (Tozzi, 2007), les ateliers de philosophie à partir d’album (Chirouter, 2022 ; Lalanne, 2002) ou encore la pratique de la « communauté de recherche philosophique » (Lipman, 1988) ? De tels dispositifs permettent-ils par exemple de réelles avancées sur l’égalité filles-garçons ? Quelle place pour l’étude plus classique des textes canoniques de l’histoire de la philosophie ou de la théorie morale et politique ?
4. Objectifs traditionnels et nouveaux défis : patriotisme, diversité, changement climatique et animaux non-humains
Historiquement, l’éducation des citoyens s’est déployée dans le cadre d’États-nations particuliers. L’un de ses objectifs était de produire des citoyens loyaux à une communauté nationale particulière. Aujourd’hui encore, les programmes formels d’éducation morale et civique sont le plus souvent pensés comme des programmes nationaux. Ils possèdent, dans une certaine mesure et à des degrés variables, une dimension patriotique. Une éducation patriotique est-elle légitime ? Est-elle compatible avec la neutralité de l’État démocratique ? Est-elle souhaitable dans la perspective d’une éducation visant l’acquisition de compétences liées à la citoyenneté démocratique ?
L’éducation des citoyens doit également aujourd’hui faire face à de nouveaux défis. Premièrement, si les sociétés traditionnelles étaient relativement homogènes, les sociétés démocratiques contemporaines sont marquées par une diversité inédite. Elles sont marquées par un pluralisme moral, lié à la diversité des conceptions du monde et du bien auxquels des individus dont on respecte la liberté de conscience adhèrent (Rawls, 1995). Elles sont également traversées par un pluralisme ethno-culturel résultant du fait que les sociétés contemporaines sont le plus souvent, pour des raisons historiques, à la fois multinationales et multiculturelles (Kymlicka, 2001). Dans la perspective d’une éducation à la citoyenneté démocratique, quelle est la meilleure façon d’appréhender cette diversité ? Est-il préférable, comme l’ont souvent affirmé les partisans du républicanisme classique, d’invisibiliser les différences, au motif que l’école ne s’adresse pas à des « enfants » (ou à des adolescents) dont on postule qu’ils héritent des particularités de leur environnement familial, mais à des « élèves » disposant d’une capacité à s’élever à l’universel (Kintzler, 2014) ? Est-il au contraire préférable, comme le propose l’éducation multiculturelle ou interculturelle, de laisser les particularités s’exprimer et de faire du pluralisme un objet d’étude explicite, au motif qu’acquérir une vertu comme la vertu de tolérance suppose de faire l’expérience de la diversité (Costa, 2011) ?
Un autre défi que les citoyens du vingt-et-unième devront affronter est celui du changement climatique. Alors que l’éducation morale, civique et politique est le plus souvent conçue comme une éducation nationale et stato-centrée, les causes du dérèglement climatique aussi bien que ses effets sont éminemment globaux (Gardiner, 2006). Faire face aux défis liés au changement climatique impose-t-il un changement de paradigme dans l’éducation des citoyens ? Si l’éducation du citoyen du vingt-et-unième siècle doit être une éducation écologique, se doit-elle également d’être une éducation cosmopolitique ?
Enfin, nos sociétés sont traversées par des aspirations à entretenir de nouvelles relations avec les animaux non-humains. Si ces relations ont un enjeu écologique (coût écologique de la consommation de viande, préservation de la biodiversité, etc.), elles posent également des problèmes proprement éthiques et politiques. Depuis les années 1970, des travaux relevant de l’éthique animale ont défendu la prise en compte des intérêts des animaux non-humains ou le respect de leurs droits (Singer, 2012 ; Regan, 2013 ; Francione & Charlton, 2015). Alors que certains de ces travaux aboutissent à des positions abolitionnistes et extinctionnistes, d’autres ont souligné que nos relations avec les animaux non-humains sont à la fois inéluctables et désirables (Kymlicka & Donaldson, 2016). Il convient selon eux par conséquent de passer d’un paradigme éthique à un paradigme politique, capable d’instituer des relations justes avec différentes catégories d’animaux non-humains. Une éducation aux droits des animaux non-humains ou à des relations justes avec les animaux non-humains est-elle légitime ? Et quelles pourraient en être les modalités ?
Ouvrages cités
Aristote, Ethique à Nicomaque, Paris, GF, 2004.
Bernardi Bruno, « La rédaction de l’Émile et le tournant du droit politique dans la pensée de Rousseau », in La Fabrique de l’Émile, F. Brahami et L. Guerpillon (dir.), Paris, Vrin, 2022.
Canivez Patrice, Eduquer le citoyen ?, Paris, Hatier, 1990.
Chirouter Edwige, Nouveaux atelier de philosophie à partir d’albums et autres fictions, Paris, Hachette, 2022.
Costa M. Victoria, Rawls, Citizenship and Education, London, Routledge, 2011.
Francione Gary L. & Charlton Anna, Animal Rights, The Abolitionist Approach, Exempla Press, 2015.
Gardiner Stephen M., « A Perfect Moral Storm: Climate Change, Intergenerational Ethics and Moral Corruption », Environmental Values, 15.3, 2006, p. 397-413.
Gutmann Amy, Democratic Education, 2nd edition, Princeton, Princeton University Press, 1999.
Kymlicka Will, La Citoyenneté multiculturelle, Une théorie libérale du droit des minorités, Paris, La Découverte, 2001.
Kymlicka Will, Contemporary Political Philosophy, An Introduction, 2nd Edition, Oxford, Oxford University Press, 2002.
Kymlicka Will & Donaldson Sue, Zoopolis, Une théorie politique des droits des animaux, Paris, Alma éditeur, 2016.
Lalanne Anne, Faire de la philosophie à l’école élémentaire, Paris, ESF éditions, 2002.
Lenne-Cornuez Johanna, Être à sa place, la formation du sujet dans la philosophie morale de Rousseau, Paris, Classiques Garnier, 2021.
Lipman Matthew, Philosophy Goes to School, Temple University Press, 1988.
Macedo Stephen, Diversity and Distrust: Civic Education in a Multicultural Democracy, Cambridge, Harvard University Press, 2000.
Mill John Stuart, De la liberté, Paris, Folio, 1990.
Platon, Ménon, Paris, GF, 1999.
Rawls John, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995.
Regan Tom, Les Droits des animaux, Paris, Hermann, 2013.
Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’économie politique, Paris, Vrin, 2002.
Rousseau Jean-Jacques, Emile ou de l’éducation, Paris, GF, 2009.
Singer Peter, La Libération animale, Paris, Payot, 2012.
Tozzi Michel (dir.), Apprendre à philosopher par la discussion : Pourquoi ? Comment ?, Bruxelles, De Boeck Sup, 2007.
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